Nathalie Sola
Gardienne du refuge de Sant Guillem. « Quand j’ai su que ce refuge se libérait, j’ai flashé dessus. »
Je m’appelle Nathalie Sola,
j’ai 52 ans et je sors d’un parcours de restauration, hôtellerie classique.
Par hasard, j’étais allée aider Thomas Dulac, un jour, au refuge des Cortalets. Il voulait que je fasse la saison avec lui et je lui ai dit : « Non. J’ai autre chose à faire ». Et pourtant, en un week-end j’ai été conquise par la clientèle. C’est une ambiance tellement différente ! En plus, je suis vraiment catalane et catalaniste et c’était pour la trobada1. J’ai adoré … je n’avais même pas la sensation de travailler.
C’est ce week-end-là de la trobada qui vous a porté jusqu’ici ?
Voilà ! C’était en 2012 je crois, et j’ai fait trois autres saisons avec lui. C’est vraiment un hasard que je sois restée sur le massif du Canigó depuis. Entre temps, avec mon compagnon on a créé une société de transport ; on amenait les gens de Prades au refuge des Cortalets et en 2018 quand l’accès a commencé à être restreint, on a su que ce refuge se libérait. J’ai flashé dessus parce que je le trouvais super beau et, pour Myriam et Stéphane2 ce n’était pas un endroit qui leur convenait donc ils sont partis ; j’ai postulé et en 2019 j’ai commencé ma première saison ici. En fait, à la base je suis plutôt de la vallée du Conflent et d’être ici ça me fait découvrir l’autre versant du Canigó.
C’était donc une occasion?
Oui. Moi ce qui me plaît, moi, (je suis plus une promeneuse qu’une randonneuse), c’est de recevoir les gens, de travailler avec les produits locaux et l’ambiance qu’il y a dans les refuges : quand les gens partagent tout, quand ils discutent les uns avec les autres sans se connaître. Ce qu’on ne trouve pas dans la restauration classique, quoi.
Vous étiez une habituée des refuges avant même d’y travailler ?
Non, pas du tout.
Lorsque j’étais petite mon père me faisait faire beaucoup de randonnées donc oui, je connaissais le massif ; j’étais montée au Canigó comme beaucoup de gens. Mais l’ambiance refuge, c’était quelque chose d’inconnu pour moi jusqu’à ce que je travaille aux Cortalets. Et vraiment, c’était trop chouette!
Combien êtes-vous aujourd’hui à travailler ici?
J’ai commencé toute seule avec mon compagnon, mais c’était un peu juste : le Tour du Canigó est un produit qui prend de l’ampleur, de plus en plus. L’année dernière avec le COVID , on peut dire que c’était une année zéro. J’ai embauché une personne, mais les gens ont complètement changé leur mode de départ en vacances. Avant les gens prévoyaient plus en avance ; maintenant ils vous appellent pour le lendemain, pour le surlendemain et ce peut être parfois des groupes. Cette année je sens que ça bouge beaucoup et que les gens ont envie de sortir randonner. J’ai donc décidé d’embaucher trois personnes, plus moi.
Les gens qui font le Tour du Canigó, sont-ils spécifiquement catalans ou est-ce un public complètement mélangé ?
D’expérience je dirais que les gens viennent de toute la France. Je travaille en plus avec Padisarc, qui est un tour opérator qui est à Ripoll et qui m’envoie pratiquement tous les Catalans du sud. Avec l’année dernière, on ne peut pas trop donner des références ; c’était très très bizarre, mais là, cette année, c’est impressionnant : les gens du coin, des villages en face de Bages, de Thuir, viennent faire le Tour du Canigó. Ils apprennent à connaître leur région et ils sont enchantés parce que l’on connaît plus le côté Conflent, où j’appelle ça Disney Land : c’est plus Mariailles, Cortalets… Il y a beaucoup de monde là-bas parce qu’il y a le GR 10. Les gens consommaient le Canigó « sec » on va dire, mais aujourd’hui les gens prennent plus le temps. Et voir ce côté qui est très vert, ces forêts magnifiques… C’est donc la grande surprise de l’année : des locaux, beaucoup de locaux.
Et ici, que viennent-ils chercher ?
De plus en plus des gens qui vont faire des petites boucles : partir de Prats-de-Mollo, redescendre le soir ici, puis redescendre sur la plaine. En plus, dans la région, grâce aux bus à 1 euro, ils n’ont pas besoin de prendre leur véhicule ; ils font la boucle et ils reprennent un autre bus. D’autres veulent faire l’expérience « refuge », ce qu’ils ne connaissent pas trop. Et à midi j’ai beaucoup de chambres d’hôtes : des curistes ou des gens qui viennent faire du tourisme vert dans l’arrière-pays et qui, eux, viennent à la journée. C’est pour cela que je fais un type de restauration le midi beaucoup plus élaboré que le soir.
Vous parlez de tourisme vert. C’est vrai qu’ici on sent la présence des arbres, du milieu naturel et, en même temps, un tourisme beaucoup plus centré sur le sport, le dépassement de soi … Comment percevez-vous ces deux tendances : à la fois un espace protégé et à la fois un espace consommé pour des loisirs ?
Je ne peux pas dire que ce soit un lieu consommé pour les loisirs parce qu’il n’y a pas affluence. Cela reste encore préservé et sauvage. Ça commence à venir, mais je sens quand même la clientèle très sensibilisée à cela. Par exemple, j’ai mis le tri sélectif et les gens trouvent ça super : « C’est naturel. » Et quand on se balade, on ne voit pas de papier par terre ; c’est préservé. Mais c’est moins couru que de l’autre côté. C’est en voie de développement. Bon… , ce n’est pas bon pour mon business, on pourrait dire, mais les gens arrivent, ils disent : »Oh, c’est super, on n’a vu personne ! » Ils sont enchantés.
Vous parliez au tout début de la trobada. Ici comment cela se passe-t-il ? Comment le vivez-vous et comment y participez-vous ?
Alors justement … Les Catalans du sud sont vraiment à fond sur cet événement-là, vous savez. Il y a un petit village, Banyoles, qui est toujours venu ici pour cela alors que c’est un itinéraire compliqué : les plus forts montent par le Tres Vents pour faire le pic. C’est quand même technique et ce n’est pas les Cortalets ! Ils vont chercher la flamme, ils redescendent ici, et ils rentrent chez eux en VTT. Il y a des voitures qui les ravitaillent et, mais ils viennent quand même à pied depuis Banyoles et leur petit périple leur prend une semaine.
Or, depuis mon arrivée je leur ai proposé d’utiliser la partie non-gardée qu’ils ne connaissaient pas. L’année dernière, avec le COVID ça ne s’est pas fait, mais cette année oui. Ils sont donc venus à pied et sont restés trois nuits ici. Côté business ils ne me prennent pas les nuitées et ils restent autonomes pour les repas et le petit-déjeuner, mais je leur fais la douche gratuite et je leur permets d’utiliser le magnifique four à pizza qu’avait fait Garlic, l’ancien gardien du refuge de Batère. C’est ma manière de participer : je leur fournis les facilités pour qu’ils perpétuent cette tradition. Évidemment, quand ils reviennent, j’ai le droit à la flamme et j’ai ma petite flamme.
Vous gardez votre petite flamme ici …
Voilà. Mais là je ne l’ai plus, elle s’est éteinte (rire).
Votre équipe est-elle composée de catalans comme vous?
Non, pas du tout … Line non ; elle est née dans la région, Océane ; elle est née dans la région PACA et Nathalie est née en Normandie. Non, je suis la seule catalane. (rire)
Est-ce que votre profession vous a amené à mieux connaître le massif ou a mieux connaître cette culture ?
Ah oui, ça oui. À mieux connaître cette culture, je dirais. Lorsque j’étais petite, mes grands-parents m’amenaient en montagne, mais c’était alors pour aller aux champignons. C’était pour en ramener quelque chose, en fait. Aujourd’hui j’y vais pour me balader, pour profiter des paysages. Il y a tout type de public aujourd’hui : il y a des gens qui, par exemple, de Batera à ici, vont faire la randonnée dans la journée, dans un esprit de compétition. Et puis il y a des gens qui prévoient de bivouaquer au milieu, parce qu’ils ne veulent pas marcher plus de quatre heures. Ils arrivent ici, ils se posent… Il a tout public.
Depuis que vous travaillez dans ces refuges le regard des visiteurs a-t-il changé sur ce massif ?
Ce que je vois va dans le bon sens parce que, grâce à Canigó Grand site de France et aux randos-pratiques qui sont éditées sur le secteur des Cortalets ou de Mariailles, la partie sommitale est moins chargée. Cela permet aux gens de voir qu’il y a d’autres parcours à faire sur le piémont et ça leur donne des idées de randonnées. Ici, j’ai avec moi toute cette documentation : au refuge on ne fait pas office que de rendre service, donner à manger aux gens, leur donner un repas chaud, une nuitée et une douche. On est là pour enseigner. Quand les gens passent, je leur donne les randos-pratiques parce qu’ils sont parfois de l’autre côté de la vallée. « Vous avez les Cortalets etc … » Ça leur donne des idées et c’est super intéressant parce qu’avec une carte IGN ils complètent, et voilà…
En général, ce sont des gens déjà avertis ou de nouveaux publics ?
On a du nouveau public et on a du curiste aussi. Ces derniers ne marchent pas trop mais sont curieux de ce qu’il y a à faire dans la région. Et après, on a ceux qui adorent la rando et qui sont peut-être habitués aux Alpes mais qui aiment bien par-ici parce que c’est plus sauvage. Et c’est ce qu’ils viennent rechercher.
Combien de personnes y a-t-il ici à peu près, par soirée ?
J’ai une capacité de trente, quarante couchages comme je suis moins fréquentée que les autres. Comme toutes les réservations se font en ligne, (ça, c’est super), cela peut varier. Si les Cortalets sont complets un jour, les gens essaient de trouver un creux, ça va alors bouchonner et tout va arriver le même jour. Et le lendemain je n’aurai rien. Ça marche par vague. Après, il y a vraiment beaucoup de gens qui bivouaquent cette année : ils ne veulent pas dormir en hébergement collectif et donc beaucoup de gens qui ne prévoient pas. Ils arrivent et ils demandent : « On peut venir manger ? On peut venir dormir ? » C’est des choses qui ne se faisaient pas trop avant. Et l’on est obligé de s’adapter.
Je vois qu’à l’intérieur vous les accueillez avec une décoration particulière. Pouvez-vous nous en parler?
C’est vrai. C’est un refuge où les murs sont tout blancs ; il a été fait aux normes, tout ce que vous voulez, mais il n’avait pas d’âme jusqu’à maintenant. Une amie me disait que l’on dirait un EHPAD. « C’est tout blanc … »
C’est un peu dur…
Ouais, c’est dur quand même ! (Rire) Du coup, j’ai commencé à mettre de vieux meubles, des choses comme ça … Et puis je me suis rappelée que juste en face, à Saint-Laurent-de-Cerdans, il y a une entreprise qui fait des tissus, les toiles du Soleil. Ce sont des tissus de super qualité avec des couleurs magnifiques. Donc je me suis dit : « C’est le truc. Comment faire de la décoration? Eh bien, avec ça ! » J’y ai ajouté les affiches des rencontres de dessin de montagne qui ont lieu chaque année en septembre.C’est une bande de dessinateurs pro / semi-pro qui font le tour des refuges et y restent trois-quatre jours. J’avais toute la collection de leurs affiches à l’exception de celle de l’année dernière qui avait eu lieu ici. Je voulais les mettre en valeur et je me suis dit que cela allait bien avec les toiles. Là-dessus j’ai aussi mis des espadrilles, parce que c’est là encore de la fabrication française, juste en face, à côté des Toiles du Soleil.
L’avantage, comme maintenant on peut tout vendre par internet et que ma clientèle qui vient de toute la France, voir de l’étranger, c’est que je peux leur donner la carte commerciale de ces produits.
L’autre jour il y a avait une dame, quand elle a vu ça, je venais de les acheter ; « Oh, chéri on y va ! » Et hop, ils y sont allés.
Faites-vous la même chose pour l’alimentation ?
Oui! Moi je prends la seule personne qui me livre, l’étoile de la bergère. Et ce n’est pas un détail parce qu’elle me livre des glaces ! (Rire) Ce sont des glaces au lait de brebis qui sont excellentes. Ensuite, je travaille avec la biocoop du Boulou, je travaille avec Bio Sud à Céret, je travaille avec des producteurs locaux pour la viande… Là, il va y avoir un pèlerinage le 22 juillet, donc j’ai acheté du chevreau dans la vallée. J’achète de la viande aussi à Saint-Laurent-de-Cerdans, le fromage à Serralongue … Et même là, j’ai décidé d’éliminer tous les sodas industriels puisque dans la région nous avons la marque Cap d’Ona qui fait l’équivalent en Coca, Sweeps, limonade ou Orangina. Alors, après il y a le Coca ; là, il ne faut pas l’enlever de la carte parce que là …
C’est un élément important ?
Ah oui. Un trailer, s’il n’a pas son Coca, c’est pas bon. (Rire)
C’est donc la seule concession que vous faites ?
Je suis obligée, parque sinon je vais me faire insulter. (Rire) Donc le reste il n’y aura pas, mais il y aura le Coca.
Quelle est la demande la plus fréquente que vous avez ? Quels sont les conseils que vous donnez ?
La question la plus fréquente :« Quel temps il fera demain ? »
La météo toujours …
Voilà, la météo, toujours. Le rituel, c’est la bière. Donc là aussi c’est de la bière qui est locale. La bonne nouvelle aussi cette année, c’est que l’ambiance refuge qui s’était perdue l’année dernière est en train de revenir. Les gens ne savaient pas trop où aller, comment réagir, donc ils étaient chacun sur sa table, ils ne se parlaient pas. J’avais peur que ça ne revienne pas. Dans 70% des cas, les gens partent de Batera pour arriver chez moi et font,ou Les Conques, ou Mariailles. Donc ils se suivent dans la journée, ils se dépassent, ci et ça et l’autre… Ils se sont donc croisés toute la journée et quand ils arrivent ils se parlent entre eux, et c’est ça qui est chouette.
Nathalie L’un des habitués du refuge
Vous-même, vous avez un tampon et vous tamponnez le passeport du Canigó.
Oui, il existe le passeport du Tour du Canigó et comme l’une des gardiennes, je leur propose et ça leur plaît. Bon, il y a toujours des gens qui disent non parce qu’ils sont au gramme près et qu’ils ne veulent pas se charger! (Rire)
Mais ce n’est pas la majorité !?
Non, non. Mais ils aiment bien, ça leur fait un souvenir. Et on a tous nos petits tampons verts avec le dessin du refuge, c’est joli, il est bien fait. Il y a les numéros de secours ; en plus il y a des informations intéressantes !
Le refuge Dortoirs B. Malassingne
Vous dites qu’il y a les numéros de secours, mais, côté réseau téléphonique, est-ce que ça passe ?
Alors … À côté de la chapelle il y a la 4G : les forfaits Orange, Bouygues ça passe bien, SFR un peu moins. Quand vous êtes en hauteur, vous arrivez à communiquer, mais le truc à savoir c’est qu’il faut toujours se mettre en mode avion pour ne pas que la batterie se décharge. Sinon, comme votre téléphone cherche en permanence, ça le fait baisser.
Mais après, moi je suis contente qu’il n’y ait pas de réseau sur la terrasse ; ça permet que les gens ne soient pas comme ça (mime) et qu’ils se parlent. (Rire)
C’est donc un point positif tout de même ?
Ah oui ! Mais même si j’en avais la possibilité, je ne donnerais pas le wifi. Parce que je veux que les gens se parlent.
Et ça marche bien ?
Oui, bien sûr. Il suffit qu’ils montent de quelques pas et ils ont la 4G, donc ils ne sont pas coupés du monde. La dernière fois j’ai une employée qui est venue travailler pour la première fois : « Qu’est-ce que ça fait du bien d’être coupé de tout ! » Voilà ; il y a des gens qui aiment, il y a des gens qui n’aiment pas.
C’est ce que les gens recherchent, vous croyez ?
Avec les habitudes ils disent : « Vous avez la wifi ? » et quand je dis non, ils disent : « Ah, c’est pas grave ». J’ai quand même un accès à internet, un téléphone fixe et un endroit où j’arrive à recevoir les SMS mais franchement, ils savent qu’ils l’ont là (geste désignant l’intérieur du refuge), et ça leur va. Personne ne m’en a fait un caca-nerveux. Après, un jour j’ai eu un monsieur, sa dame s’était blessée, alors lui, bien sûr, je lui ai laisse le wifi. Mais ce sont pour des cas d’urgence.
1Trobada:Ascension traditionnelle au sommet du Canigó, la fin de semaine précédant la Fête de la Saint Jean (23 juin, jour du solstice d’été). Les villageois des villages catalans montent à cette occasion des fagots de bois destinés à être brulés la veille de la Saint Jean. Danses, repas et chants accompagnent cette tradition. Pour en savoir plus sur la fête de la Saint Jean.
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